[ENVOYÉ SPÉCIAL] La ferme des animaux

J’entre dans cet A380 sur deux étages. Air France, ses 515 passagers et moi allons passer la nuit à bord du mastodonte silencieux, prenant la tangente plein Sud. À travers le hublot, la Dame de fer s’improvise en phare et me lance des aurevoirs. À dans dix jours… La lumière revenue, me voilà en Afrique du Sud et la ville s’est changée en grandes étendues vertes, rarement interrompues par un fleuve qui serpente. Africa de Toto commence tout doucement à résonner dans mon esprit…

Matin

Après un atterrissage en douceur dans la Nation arc-en-ciel, je file au Nord du pays vers le Waterberg dans la province du Limpopo. Les bordures alentours verdissent davantage et s’élèvent à vue d’œil. Des vendeurs d’avocats sont allongés à l’ombre d’un arbre en attendant les intéressés. Je profite du trajet pour en apprendre plus sur le drapeau national qui n’a que 24 ans, et qui est pourtant si riche en couleurs comme en symboles : rouge pour le sang, bleu pour le ciel, vert pour la végétation, doré pour les minéraux et enfin noir et blanc pour les races qui cohabitent dans le pays. Des répliques flottent fièrement à l’entrée du Parc National du Pilanesberg dans lequel nous entrons, pour nous mettre à la poursuite des Big Five. Tout s’enchaîne alors : des aigrettes posées sur le dos des rhinocéros aux deux éléphants qui prennent leur douche et s’amusent au bord de l’eau en passant par un congrès de cinq lionnes en chasse… Les animaux posent, font de la figuration, ne s’embarrassent pas de notre présence. Maman rhinocéros et son petit broutent l’herbe fraîche gorgée de rosée sous les yeux des babouins suspendus dans les arbres. Un zèbre se promène tranquillement en arrière-plan. J’ai l’impression d’assister à un documentaire animalier en direct sous mes yeux. La patte d’une lionne ayant sans doute faite craquer la brindille de trop, les zèbres réussiront à s’échapper de justesse… pour cette fois.

Midi

Joseph le pilote est un as : nous traversons le bush et ses 9700 espèces d’herbes sur un tapis volant. Autour de nous les oiseaux chantent des airs nouveaux aux sons méconnus. Dans cette brousse chaque être vivant possède son utilité, joue son rôle dans un puzzle complexe et organisé : une certaine plante usée pour de la corde, une seconde pour enflammer les torches, une autre enfin pour soulager les maux de ventre ou les rages de dents. La nature possède ici un fonctionnement rodé, et permet à tous d’y trouver son bonheur, même jusqu’aux os des carcasses prisés par les girafes pour leur précieux calcium. Certaines branches, pourtant épineuses à souhait, tentent de se défendre mais ne parviennent pas à lutter contre la langue avertie des éléphants, qui en raffolent. Je crois alors me souvenir d’un vieux cours de philosophie et d’une théorie de l’évolution qui évoquait un rallongement du cou des girafes centimètre par centimètre sur plusieurs milliers d’années, pour atteindre les branchages les plus hauts… D’ailleurs en voici quelques-unes qui me font des clins d’œil aux longs cils puis s’enfuient au galop, emportant avec elles le secret de leur évolution transformiste. Entre les trous de fourmis-lions et les épines de porc-épic perdues pendant la nuit, des empreintes nouvelles jonchent le sol rouge près du véhicule. Leur forme évoque à n’en pas douter les coussinets géants du Roi des animaux, encore absent…

Soir

Un éléphant nous barre la route, il ne nous reste qu’à nous faire tout petit pour le laisser poursuivre son chemin. Les traces du lion se raréfient… Et pourtant le voilà : accompagné de deux lionnes qui lui ouvrent la voie, le Roi est en chasse et en a après une bande d’antilopes naïves quelques mètres plus loin. Il s’inclinera uniquement devant un couple de rhinocéros curieux, avantagés par leur corne menaçante. Nous ne saboterons pas les plans du lion cette fois-ci. Le jour décline rapidement de ce côté de l’hémisphère et laisse place à un éclairage de fin de journée que même le plus grand des ingénieurs lumière n’arriverait pas à reproduire fidèlement. Des éclairs zèbrent le ciel au loin. Impalas, antilopes et girafes supplémentaires sont de sortie dans l’air qui se rafraichit. Un porc-épic insomniaque traverse la route. À la sortie des lieux, une vingtaine de girafes nous fait une haie d’honneur et nous souhaite une belle soirée. L’obscurité s’accumule sur la partie supérieure de l’azur, et les arbres se découpent en sombres pochoirs sur l’horizon embrasé. Plus tard, je dîne autour du feu sous les étoiles du ciel africain. Je suis mieux entouré que jamais, les orages toujours au loin, la Ceinture d’Orion au-dessus, et sans doute des dizaines de paires d’yeux vifs et curieux fixés sur moi, tout là-bas au loin dans l’obscurité…

It’s gonna take a lot to take me away from you
There’s nothing that a hundred men or more could ever do
I bless the rains down in Africa

 

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