[ENVOYÉ SPÉCIAL] Théâtre Seychelles

Pas de taxi pour m’emmener à la représentation de ce soir, mais un Airbus A340 aux ailettes bleu électrique mis en service par JOON. Son personnel, Stan Smith aux pieds et tenue sportwear, est aux petits soins. Le public s’installe rapidement sur les sièges numérotés, les toboggans sont armés et la porte opposée vérifiée. Les trois coups retentissent, le rideau se lève. Que le spectacle commence…

ACTE I – Exposition

Les projecteurs s’allument sur la plage de sable blanc côté jardin, la mer turquoise côté cour ; et tellement de choses entre les deux. Une distribution de rêve mêlant créatures peu farouches et figurants locaux souriants, que nous allons découvrir au long des trois actes de cette pièce. Aux Seychelles, l’écologie fait loi : paysages intacts, interdiction de cueillir et vendre certains fruits, oiseaux rarissimes laissés en totale autonomie, installation d’éoliennes dans la capitale, et plus encore. Un jardin d’Éden préservé que les dramaturges et metteurs en scène ont finement écrit et étalé sur 115 îles dispersées dans l’océan Indien, en véritable jeu de billes granitiques. La pièce commence par un concerto d’oiseaux en mi mineur qui me réveille agréablement alors que le mercure affiche déjà 27,2 le matin. Dans la nature de Mahé, île la plus habitée des Seychelles, les libellules ouvrent le bal au sol pendant que les chauves-souris filent droit au-dessus des têtes. Niveaux dialogues, on se donne la réplique entre l’Anglais, le Français et le Créole, la langue nationale. Cette dernière évoque un français relax à l’élocution mignonne et qui zozote. Mon premier repas est constitué d’une daurade cuite dans une feuille de bananier. Celui-ci sera le premier d’une longue série de poissons toujours plus succulents, et ma mémoire s’en trouvera rallongée sur la semaine que je passe aux Seychelles. Et c’est tant mieux car il semblerait que, comme son texte, ce soit l’un de ces voyages que l’on ne veut pas oublier.

ACTE II – Intrigue

Il est temps d’embarquer pour les îles voisines. De plage en plage, les décors se suivent et ne se ressemblent pas. Sur l’île Cousin, les oiseaux et les tortues géantes se partagent le premier rôle, les crabes le second. Bien que peureux à mon approche, ces courageux crustacés gardent jalousement leur rocher sur cette île réaménagée par un richissime investisseur Sud-africain, pour que les plus beaux volatiles puissent s’y reproduire. Horsscène – ou plutôt sous-scène dans l’eau – se trament de nombreuses choses : les poissons perroquets naviguent entre les coraux fragiles, dans une eau d’un bleu à la palette variable. Sa grande sœur, l’île Curieuse, est habitée par de nombreuses tortues qui justifient à elles seules le nom du lieu. Enfin au cœur de Praslin dans la Vallée de Mai, un écosystème à échelle humaine s’épanouit. Côté faune, les Black Parrots et petits reptiles se font maîtres du camouflage et dialoguent en aparté. Côté flore, les Cocotiers de mer grandissent tranquillement – en deux à trois siècles – et donnent la fameuse « coco-fesses », un fruit devenu emblème du pays qui vous sera tamponné dans le passeport à votre arrivée. Le tout est totalement endémique et aura valu au site d’être classé au Patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO en 1983. La végétation salue mon passage sous l’effet de la brise et nous propose un court entracte.

ENTRACTE – Heures perdues

En route pour La Digue, matinée ensoleillée.

C’est sur la minuscule île de La Digue que j’enfourche un vélo et en fais le tour antihoraire. D’ailleurs les horloges que je croise sur mon chemin n’affichent jamais la même chose, et j’en comprends vite la raison : les Seychellois ont beau vouloir mettre toutes leurs pendules à l’heure, le temps est ici bel et bien suspendu.

Poursuite vers l’acte III, lieu indéfini.

ACTE III – Dénouement

Totalement perdu dans les trois unités temps / lieu / action, j’erre sur une anse (baie) supplémentaire. Mes empreintes de pas à peine déposées disparaissent immédiatement dans le ressac et son écume, comme le message  d’un pays qui tient à tout prix à garder sa virginité. D’énormes rochers ont été jetés comme de vulgaires dés au bord de l’eau. C’est bien la première fois que je trouve de la pierre photogénique. Le sable vole sous forme de brume fine. Alors que la lumière décline dramatiquement, les nuages de fin de journée, peints à la main, s’estompent dans le ciel. La lumière du Soleil filtre au-travers, chacun de ses rayons parfaitement opaques. Alors que j’invoque le Deus Ex Machina, il intervient effectivement sous la forme d’une musique faite de tambours et de chants créoles. Sur le rivage, une poignée d’hommes improvisent des rythmes au gré d’un grand feu dans lequel cuisent des bonites fraîchement pêchées. Voilà donc le dénouement de cette grande mise en abyme de carte postale. Les décors s’effacent, la musique baisse et le rideau tombe. S’ensuivent les applaudissements. Les comédiens reviennent une, deux, trois fois sous les saluts nourris du public. Dire que cette pièce fut une merveille ? La critique sera unanime sur la question. Que l’on peut en tomber amoureux ? Un euphémisme, sans aucun doute.

Pour Aude

 

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