[ENVOYÉ SPÉCIAL] Là où naît le Soleil

Le cercle rouge estampillé sur l’aile gauche du zinc B787 d’ANA est là pour me rappeler que je me dirige tout droit vers le Pays du Soleil levant. Et pour cause la nuit s’en voit rétrécie à une poignée d’heures, alors que je vole tout droit vers le futur : au Japon.

Lors du trajet, je fais d’ores et déjà des rêves courts et confus mêlant signes inconnus, odeurs nouvelles et anxiété des grandeurs qui m’attendent… À bord, on me propose deux options de plats, japonais ou international ; je n’hésite pas une seule seconde, à moi le saumon, le poulet et les premiers petits bouts de gingembre (baguettes incluses). Mon palais, mes papilles et mon esprit s’ouvrent volontiers à ces saveurs aux goûts (enfin) sincères.

Tokyo

J’arrive. La première chose qui me frappe, c’est la langue : rapide, incisive, efficace. On semble dire plus en moins de temps. Je m’élève de 31 étages dans le centre-ville et mes oreilles se bouchent et se débouchent au rythme des niveaux, avec une vitesse moyenne de 600 mètres / minute. J’ouvre un rideau et je me vois offrir la plus belle vue sur la métropole faite de verre et d’acier, entourant une bien curieuse tour inspirée Eiffel. Il est 9h, pas un bruit, pas un coup de klaxon. Si le silence est d’or, alors les tokyoïtes doivent être riches. Dans le dédale des métros aériens et souterrains, c’est une chorégraphie à la fois brouillonne et organisée qui se joue tous les matins. Ne vous avisez surtout pas de faire demi-tour, il est trop tard votre chemin est déjà tracé par un sens de la marche indiqué par des flèches. On ne fuit pas forcément le contact physique, mais on évite les accrochages. Sur les téléphones portables s’épanouissent des jeux-vidéo colorés, dynamiques, épileptiques. Sur les écrans de publicité, ce sont des japonais(es) survitaminé(e)s entouré(e)s d’une abondance de lettrages croisés sur les axes X et Y, comme une réelle mise en abyme du digital. Dans l’air, de petites mélodies sur timer, des voix synthétiques et des bips en tout genre jaillissent de partout, tout le temps…

Lors de mon premier déjeuner nippon, je suis reconnaissant que le menu contienne des illustrations et me réjouis de la générosité du rāmen que l’on me sert, des pâtes et du bœuf dans un bouillon revigorant. Le soir à Kabukicho, le quartier branché à l’ouest de Tokyo, une cascade de néons et de la musique m’abreuvent. Les langues semblent se délier – du moins en apparence car je ne comprends pas mieux le japonais – et des éclats de rire se font entendre çà et là au sein de petits groupes joyeux. Je résiste à l’envie de m’éterniser, il faudra que je me lève tôt demain pour découvrir le marché aux poissons.

Le marché aux poissons / Fumée miraculeuse

Un festival d’odeurs, l’Empire du polystyrène : le marché aux poissons de Tsukiji m’ouvre ses portes. Tout va encore plus vite : ce ballet de petits trois roues électriques transportant les précieuses marchandises aquatiques en devient dangereux. Les mouettes crient d’impatience, guettant la moindre anicroche, succulents trésors marins renversés. Le marché est dominé par les bureaux administratifs, et je comprends rapidement que, sous ses aspects chaotiques, ce premier répond à une organisation quotidienne taillée dans la glace. Cette même glace fraîchement pilée craquant sous mes semelles. Les photos y sont interdites ; je joue sur les mots et prends quelques vidéos à la volée.

Je me dirige ensuite vers le Sensō-ji, un impressionnant temple bouddhiste fondé il y a presque 14 siècles. Je découvre un genre d’ablution par la fumée : les japonais déposent de l’encens dans ce modeste brûleur qui trône au centre du parvis, les émanations étant censées guérir les maux et apporter la bonne fortune. Je doute un peu, mais cela n’est pas suffisant pour ne pas m’en faire respirer une bouffée, toxique mais que j’espère heureuse.

Le Mont Fuji / Nikkō

Hors-saison, je n’ai pas la chance de trouver les cerisiers chargés de leurs fleurs roses printanières. Cependant, tous les éléments retiennent leur souffle pour m’offrir la meilleure des visibilités sur ce roi volcan aux neiges éternelles en sommeil : le Mont Fuji. Majestueux, il se voit tout au long de la route qui mène à lui. Sa dernière éruption remonte à plus de 3 siècles, il y a néanmoins peu de chances pour que cela se reproduise. Je prends une décharge au terme d’une balade à vélo électriquement assistée par la découverte du titan de pierre au lourd sommeil. C’est le coup de foudre entre mon appareil photo et lui, attention aux étincelles.

Sur les rails en direction de Nikkō, je perds encore une poignée de degrés. Le Soleil chauffe timidement des restes de neige éparpillés en patches inégaux. Je perds également les traductions en anglais, et bien que l’opératrice ait été assez claire, je manque ma correspondance et perds du temps sur ma journée… Mais qu’importe, les chefs de gare m’aident et ne dit-on pas que « le plus important n’est pas la destination » ? La petite ville, sa forêt dense et ses temples se veulent sublimes. J’en apprends beaucoup en peu de temps sur ces lieux bouddhistes et shintoïstes fascinants, leurs sanctuaires mais aussi leurs symboles : des Singes de la Sagesse au Chat qui dort en passant par des dragons et oiseaux légendaires. Un zoo de pierre qui ne laisse pas de marbre.

Bien que nous soyons au Pays du Soleil levant, c’est encore lorsqu’il se couche – tôt – qu’il flamboie le mieux. Quand vous irez au Japon, et je vous souhaite d’en avoir l’opportunité, essayez d’attraper la fumée de cet astre qui brûle, on ne sait jamais, peut-être pourra-t-elle vous guérir ou vous porter chance.