[ENVOYÉ SPÉCIAL] Le Royaume des esprits

Une mer de nuage semblable à un sol neigeux irrégulier s’étale à quelques centaines de mètres sous l’appareil de Vietnam Airlines. Une fois encore, je questionne les nombreuses lois de la physique remises en cause : vitesse, altitude, référentiels désorientés… C’est sur ces grandes méditations que je sombre dans le sommeil, pour me réveiller au Cambodge.

Siem Reap

Une multitude de palmiers et beaucoup de verdure m’accueillent au Cambodge. Je rejoins immédiatement le centre de Siem Reap, oasis spirituelle et porte d’accès privilégiée vers les plus beaux temples du pays. La nuit tombe, et des lanternes sont suspendues tout le long de l’Avenue Charles de Gaulle ; on y fêtera le Nouvel An dans une poignée de jours, et les cambodgiens ont un sens aiguisé de la décoration. Le soir, j’emprunte un tuk tuk amélioré appelé ici « remork » pour me rendre dans le centre-ville. Ce curieux moyen de transport, ici taxi local, est constitué d’un habitable de trois à quatre places assises tractées par une moto à l’avant. Je comprends vite que dans ce véhicule, je suis entre de bonnes mains : le conducteur audacieux se faufile et met un point d’honneur à m’amener à bon port, à m’attendre le temps de dîner, puis à me faire regagner mes pénates en un temps record. Mais je lui réclame un détour par le Marché de nuit qui bat son plein, tout éclairé de cascades de néons dans les arbres, sur les bâtiments et dans les yeux. De petites salamandres peureuses sont de sortie sur les murs de ma chambre. Elles me souhaitent la bienvenue et me parlent de l’économie du Cambodge en pierre angulaire, maintenue grâce au tourisme, à l’agriculture et à la production de textiles. Mais je suis trop épuisé pour en écouter davantage

Temples en pagaille

Au lever du soleil, de retour le long de l’axe principal emprunté la veille, une seule destination : Angkor. 401 km² de pierres, d’arbres et de spiritualité au cœur d’une nature surnaturelle. Classée au Patrimoine Mondial de l’UNESCO il y a 26 ans, la « Capitale sacrée » est un regroupement de 150 temples à la croisée des temps. Témoins du passé, la plupart des temples se voit restaurée par des équipes allemandes, françaises, suisses, américaines, japonaises… Pour ainsi survivre à l’érosion ou aux troncs d’arbres noueux qui entrelacent le roc millénaire. Des moines bouddhistes de 7 à 77 ans en habits orange se promènent dans une délicieuse odeur d’encens. À l’intérieur de certains sanctuaires, des sculptures ornent les murs, faisant l’effet d’une bande dessinée rupestre. D’autres temples sont constitués de visages au doux sourire juchés à plusieurs mètres de hauteur. Aux alentours, des mangues sauvages nous pleuvent dessus, il n’y a qu’à se baisser pour les ramasser. Ce sont les vacances scolaires, et les enfants qui s’amusent autour des édifices se prêtent au jeu de la photographie. Le temps n’a aucune emprise sur eux, ils semblent réaliser pleinement qu’ils passent les meilleures années de leur vie, au cœur de ces lieux si souvent empruntés par le cinéma hollywoodien. Je découvre les Asparas, des nymphes danseuses célestes reconnues pour leur grande beauté. Ma journée se termine auprès d’Angkor Wat, le plus somptueux des temples, dont le reflet déclinant peine à se faire une place parmi les nombreux nénuphars à ses pieds.

Villages, lac et cieux

La route, encore : arrêt sur le bas-côté pour déguster un khao lam, ce riz gluant cuit dans un bambou, que l’on épluche comme une banane. Sans doute l’un des petits-déjeuners les plus consistants de ma vie, les rizières et champs de papier en arrière-plan. Les cigales produisent un bruit délicieusement assourdissant, je jurerais que le son provient de puissantes enceintes dissimulées dans les arbres. Je saute dans un bateau sur le Tonle Sap Lake, acteur vital pour la province qui fournit ses habitants en eau tout au long de l’année, et coffre au trésor de plusde 180 espèces de poissons.Alors que l’eau se confond avec le ciel sur l’horizon blanc, on me raconte que le lac se transforme lors de son impressionnante montée pendant la mousson entre mai et novembre. Mais pour le moment, les barques restent remisées sous les habitations sur pilotis et les enfants jouent au ballon. N’ayant pris le risque d’emporter mon fidèle drone dans mes bagages pour ce séjour, il fallait ruser pour obtenir le Cambodge vu du ciel. C’est pour cela que j’embarque à bord d’un petit ULM biplace et emprunte le même chemin diagonal que les particules de poussière qui flottent au-dessus les temples. Des petites maisons aux toits rouges ou verts et aux murs bleus émergent de la végétation dense. Le pilote et moi faisons signe aux agriculteurs, bien occupés dans les rizières et les champs. Sur le rivage, les villages flottants vont de pair avec les filets de pêche agencés en flèches qui percent les eaux calmes. Qu’indiquent-elles, pointées vers l’horizon ? Sans doute le chemin vers ma prochaine destination

 

Retrouvez les photos de mon voyage au Cambodge sur Instagram.