[ENVOYÉ SPÉCIAL] À l’autre bout du monde

Je mets un pied dans l’appareil tout en couleurs et en sourires d’Air Tahiti Nui et tends l’oreille sur les consignes de sécurité : je les connais par cœur, et me concentre sur cette langue nouvelle, pleine de voyelles, chantante. Les hôtesses m’offrent une paire de ces petites fleurs blanches dont j’oublie momentanément le nom. Il me suffit d’y plonger le nez pour m’en rappeler : la fleur de Tiaré, au parfum de jasmin. Le temps s’accélère et je débarque à Tahiti.

UN BOUT DE PARADIS

Une pluie battante m’accueille à l’arrivée mais je suis confiant : on me dit que la météo est très lunatique dans cette partie du globe et je ne désespère absolument pas de faire la rencontre du Soleil tahitien. Cela n’empêche pas les locaux de vivre tranquillement torse nu. Il est curieux de retrouver des panneaux routiers familiers et enseignes commerciales identiques aux nôtres à quelques 15 000 km de chez soi. Ce jeune homme qui se promène avec deux baguettes de pain dans les mains et l’Avenue Charles de Gaulle que je traverse encouragent l’amalgame. Heureusement les paysages n’ont eux, rien à voir avec nos décors : bleu pastel dans l’eau, jaune blanchi à l’extrême sur les plages et vert profond sur terre, le nuancier est extraordinaire. J’observe déjà de l’Art un peu partout : dans la musique qui diffuse dans l’air à coups de ukulélés à quatre et six cordes, dans les œuvres murales sur les bâtiments de Papeete – qui organise son Festival international de graffiti – et même jusque dans les fruits du roucou. Cet arbre produit un fruit rouge à épines rempli de graines (colorant E160b pour les intimes) qu’un certain Paul Gauguin utilisa dans ses œuvres les dernières années de sa vie, sans doute inspiré par l’air ambiant.

UN BOUT DE CONVERSATION

Visite de Moorea à la poursuite des éclaircies, une île née d’un volcan dont je fais deux fois le tour complet du long de ses 60 km de circonférence. Au volant, j’évite crabes et coqs qui ont l’audace de traverser la route. Je suis encadré par une végétation luxuriante composée de bananiers et palmiers au tronc tendu vers l’horizon. Vous savez quelle est la réponse automatique à toute requête en Polynésie ? « No souci ». Je m’inspire de ce modèle et accepte sans hésiter un auto-stoppeur au bord de la route. Il me parle rapidement de sa « bien-aimée » et de ses enfants. Il me dit aussi que je pourrais trouver plein de tahitiennes si je le voulais. J’acquiesce et me garde lui dire que je suis déjà tombé amoureux plusieurs fois depuis mon arrivée. J’apprends également qu’une fleur de Tiaré sur l’oreille droite signifie « célibataire », sur l’oreille gauche « en couple », et le port de deux fleurs… Eh bien, je vous laisse deviner. Nous traversons ensemble champs d’ananas et jardins de cocotiers. Une fois déposé à bon port, je m’enfonce dans les terres et découvre des vestiges de temples et anciens villages abandonnés. Gorgés de fer, le sol, son eau et sa boue sont d’un orange radioactif. J’en apprends plus sur les maraes, ces espaces de pierre consacrés aux dieux, dans lesquels de nombreux rituels avaient lieu… Seul au cœur de la forêt, parmi les feuilles en forme d’oreilles d’éléphant, un frisson me parcourt. Serait-ce le Mana dont m’a parlé mon passager plus tôt dans l’après-midi ?

UN BOUT DE FOND MARIN

Dernière étape, à Bora-Bora, la « première née » : peut-on faire une eau encore plus bleue translucide ? Je me pose sincèrement la question alors que j’atterris dans un paradis en trois dimensions. Une formidable piscine qui s’étend sur des km² m’appelle, ne demande qu’à être auscultée. J’y plonge enfin avec palmes, masque et tuba pour découvrir immédiatement le plus beau des ballets : une chorégraphie aquatique donnée par quelques raies manta et des centaines de poissons aux noms que j’ignore. Je fais le plein d’iode parmi ces bancs aux couleurs dont seuls eux ont le secret. Le corail, que je m’interdis catégoriquement de frôler, se porte à merveille, quant aux raies, elles sont affamées et m’encerclent comme des toutous joueurs. J’en soulève une au poids impressionnant de 60 kg sous l’œil curieux des requins à pointes noirs, totalement pacifistes et faisant ainsi honneur à l’Océan dans lequel ils évoluent. Émerveillé, je veille à ne pas me laisser entraîner dans ces courants chauds attirants. Paul Gauguin disait que « La peinture est comme l’homme : mortel mais vivant toujours en lutte avec la matière. » En Polynésie, il me semble qu’il est justement très facile de se faire surprendre par cette matière, de se fondre dans le paysage et de devenir sans s’en apercevoir, un petit bout de cette grande œuvre d’art.

 

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